Quelle est la bonne échelle, selon vous, pour réfléchir les dynamiques territoriales ?
Je dirai essentiellement la commune, l’intercommunalité et la Région, mais également les collaborations inter-établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). L’échelle démocratique qui paraît évidente, légitime, c’est celle de la commune.
Les maires et les adjoints, ce sont les élus dans lesquels les populations ont le plus confiance. En participant aux élections municipales, les citoyens ont le sentiment de voter pour des personnes qui vont pouvoir agir concrètement sur leur quotidien. Néanmoins il y a un réel hiatus à ce sujet, car dans les faits une très grande partie des compétences qui touchent directement le citoyen n’est plus pilotée à l’échelle communale mais à l’échelle intercommunale. Habiter, travailler, se chauffer, aller au théâtre, faire garder ses enfants, avoir de l’eau potable, traiter ses déchets…
La majeure partie de ces politiques ne dépend plus de la commune mais de l’intercommunalité.
En quoi est-ce un problème ?
Lors des élections municipales, un certain nombre de candidats sont préfléchés sur les listes pour siéger à l’intercommunalité. Une fois élus, ils se retrouvent donc du jour au lendemain au sein d’un conseil communautaire. Le problème c’est que ces élus n’ont pas porté au préalable de projet politique intercommunal commun. Il est donc rare qu’ils pilotent ensuite un projet politique fort. Cela amène des conséquences assez désastreuses : des élus qui viennent défendre les intérêts de leur commune plutôt que de travailler à une solidarité intercommunale, des conseillers municipaux déconnectés des politiques intercommunales, des techniciens assez esseulés et pourtant en charge de mettre en œuvre des plans stratégiques majeurs (PLUi, PLH, PCAET, schéma de mobilités, de biodiversité…), une gouvernance souvent très politique avec des décisions limitées à un président et à ses vice-présidents… Et, in fine, des habitants qui s’entendent dire de la part de leurs conseillers municipaux : « ce n’est pas moi, c’est l’interco ! »
C’est donc un désavantage pour les petites communes ?
Au sein des conseils communautaires, les élus des communes rurales sont sous-représentés par rapport aux élus de la ville. Avant la Loi « engagement et proximité », il arrivait même qu’une petite commune n’ait aucun siège au sein d’une intercommunalité. Or, j’ai l’habitude de le dire : un élu de la périphérie rennaise connaît bien souvent mieux Rennes qu’un élu rennais ne connaît les communes de sa périphérie. Dans les faits, on constate bien souvent que les petites intercommunalités fonctionnent mieux que les grandes, surtout quand elles ont une longue histoire derrière elles. Le lien est plus fluide entre élus, les négociations plus simples à mener et, étant moins nombreux, il y a moins d’intérêts divergents à concilier.
Quelles sont les conditions pour que l’intercommunalité fonctionne bien ?
Pour que l’intercommunalité fonctionne bien, elle doit être composée de communes ayant une certaine habitude sociale, culturelle, économique à « faire ensemble »… Avec la loi NOTRe, il y a eu une refonte des intercommunalités et on voit aujourd’hui parfois des intercommunalités qui ne fonctionnent pas bien parce qu’on a raccroché artificiellement des communes les unes avec les autres. Il y a aussi quelquefois un problème de taille. Il peut être difficile de piloter des conseils communautaires à plus de cent élus sur des territoires de plus de 100 communes, elles-mêmes pouvant être séparées de près de 100 kilomètres…
On parle compétences et pouvoir décisionnaire, gouvernance politique, mais qu’en est-il de l’ingénierie dans les territoires ruraux ? Est-elle suffisante pour porter des projets de manière pertinente ?
Dans une petite commune, le chef d’orchestre, c’est le maire et ses adjoints ; l’impulsion des projets repose sur cette poignée de personnes qui, si elles ont la tête bien faite, des compétences en conduite de projet, peuvent avancer vite et bien.
Le secret, c’est de savoir impliquer les habitants, ce qui est aussi plus simple sur une petite commune que dans une collectivité plus importante… Ensuite, il faut encore savoir bien sûr engager des démarches globales, intégrant l’ensemble des enjeux. À l’opposé, les grandes collectivités ont parfois l’ingénierie, mais il peut leur manquer ce fonctionnement en mode projet pour embarquer de manière transversale toute l’ingénierie à leur disposition et pour la mettre en musique.
Donc small is beautiful ?
Oui et non. On peut parfois se sentir démuni en matière d’ingénierie sur les territoires ruraux, non pas parce que l’ingénierie n’existe pas, mais parce qu’elle est très dispatchée. La complexité repose alors bien souvent sur le fait de savoir qui on doit mobiliser en fonction du sujet et de l’étape du projet qui nous occupe. Il faut donc que les élus connaissent parfaitement tous les acteurs mobilisables, leur rôle, ce qui est loin d’être évident. Même avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, il m’arrive quelquefois de m’interroger. Sur l’eau, on a de l’ingénierie dans les syndicats de bassins-versants, sur les questions d’aménagement et d’urbanisme, on va en trouver dans les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), Établissement public foncier (EPF) et les Directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), sur les déchets, elle se trouve plutôt au niveau de syndicats intercommunaux et de l’intercommunalité, sur l’énergie dans les agences locales de l’énergie et du climat et des syndicats départementaux…
Ouest-France.
Publié le 17/11/2023 à 14h30
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